Histoire

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Salé est l’une des villes les plus anciennes de l’Occident Musulman. Elle a été fondée au début du XIème Siècle par les Banu ‘ Achara qui relevaient de la principauté des Banu Ifren. Il est connu que cette dynastie a fait de Chellah le point de départ de son action de lutte contre la principauté des Berghouata, hérétiques, sans qu’elle puisse mettre un terme à leur existence. Il semble que la ville ait hérité du nom de Chellah ainsi que d’une partie de la population de cette dernière après l’expulsion des Berghouata vers le Sud-Est.

Et étant donné l’influence et la richesse de ce clan des Banou al ‘ Achara ainsi que l’intérêt que ses membres accordaient à la science et à la littérature, leur palais est devenu un centre d’attraction pour les écrivains et les poètes. Il attira donc des habitants, venus des régions avoisinantes et même d’al Andalus.  

Cet évènement premier a abouti à l’apparition d’un espace habité connu sous le nom de « Bulida » (Blida). Quelque temps après d’autres immigrants Zénètes et andalous arrivèrent et agrandissent le noyau initial de manière remarquable.

Les Banu Ifren construisirent au Nord-Est de la mosquée le quartier des Zénètes (Znata). Après cela, une famille, nouvellement arrivée d’al Andalous, les Banou Khayroun entreprit d’édifier un nouveau quartier qui porta leur nom, en l’occurrence, le Quartier des Akhiyar (Derb Khiyar).

Les Almoravides, après leur arrivée dans la région en 465/1073 et après avoir défait les Berghouata et  les Banou Ifren gardèrent leur considération aux Banu  ‘ Achara qu’ils établirent comme cadis de père en fils.

Sous le règne des Almoravides dut édifiée la mosquée «  echChahba » au sud-est de la ville. Les Almoravides ont renforcé les défenses de la ville qu’ils entourèrent d’une muraille, en pierres et briques, percée de la plupart des portes que nous connaissons aujourd’hui et particulièrement celles qui s’ouvraient sur les directions principales, comme Fès et Sebta.

Lorsque les Almohades arrivèrent à l’embouchure du Bouregreg en 526/1132, le Khalife Abdelmoumen résida dans le palais des Banu ‘ Achara. Il ordonna de détruire le rempart sud de la ville afin d’en faciliter le contrôle, mais maintint les Banu ‘ Achara dans leurs privilèges. Lors de son règne, Salé s’était jointe à la révolte dirigée par Ibn Houd al Massi. Sous son règne, Salé a atteint une place éminente.

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Ya‘qub al Mansour, troisième calife almohade, a réservé à Salé une attention exceptionnelle. Il y a construit la plus grande mosquée au Maroc à l’époque (539/1196). A côté de la mosquée il fit construire un collège (Medersa) pour y enseigner le Coran et les corpus de Hadiths.

C’est à cette époque que remonte aussi la construction de la mosquée Dawud dans le quartier de Bourmada, très connue par son minaret tronqué (el Mgarrja).  En 594/1197 fut entamée la construction d’un nouveau quartier, celui de Tal ‘a qui fut relié à la rive gauche par un pont de dix (10) mètres de large.

Salé a joué un rôle remarquable dans l’histoire almohade. Elle fut, avec son Ribat, la résidence des califes de cette dynastie quand ils préparaient leurs campagnes vers les pays du Maghreb ou vers al Andalous. Pour ce faire, ils ont passé de longs mois dans cette agglomération des deux rives qui en a tiré le plus grand profit, sur le plan urbanistique et architectural. Ce rôle capital, joué par Salé, a encouragé plusieurs rebelles à concentrer leurs efforts sur ce site. C’est ce qui explique qu’un des « Cheikhs » almohades Ibn Ouaqarit qui avait rejoint le rebelle Ibn Houd, révolté en al-Andalous.

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L’entrée du sultan mérinide à Salé fut le début d’une relation privilégiée entre la ville et les membres de la nouvelle dynastie, étant donné les monuments qu’ils y ont construits et dont les vestiges sont toujours présents, comme témoins de la richesse de la civilisation qui a fleuri à Salé, à cette époque. Les mérinides firent de Salé l’une des neuf « ‘amala » (provinces) qu’ils instituèrent. Ils construisirent les remparts du côté sud et firnt de l’arsenal (chantier naval) sa continuité dans la zone Sud-Est de la ville. De même, ils édifièrent le collège (medersa) d’etTal ‘a, l’hôpital (bimaristane) ou le « collège merveilleux » (al madrasa al ‘ajiba) ainsi que le couvent –refuge des ermites (zaouiyat en noussak) hors les murs, près de la porte de Fès (Bab Fas) en plus de deux petites mosquées. De même, ils édifièrent un autre monument, unique en son genre, le « mur des arcades » (Sur al Aqwas) pour le transport de l’eau d’Ain al Birka dans la forêt d’al Ma ‘mora jusqu’à Salé.

La situation de la dynastie mérinide a eu un impact sur Salé, en positif comme en négatif. Avec la défaite des Mérinides, à Tarifa, face à la flotte chrétienne en 1341, a débuté la décadence des activités de la ville dont le sort a toujours été lié à celui des campagnes militaire en al-Andalous. Au cours du règne des Mérinides la place et l’importance de Salé se sont dégradées petit à petit. On se rend compte de cela à travers le degré d’intérêt des informations que relatent les sources ; les souverains ne résidaient plus à Salé longtemps, au contraire de ce qui se faisait auparavant, et depuis la mort du sultan Abou ‘Inan, elle ne connut plus de construction d’édifices ni de monuments. Seuls les conflits aigus autour du pouvoir expliquaient la venue des souverains à Salé.

Au début du quinzième (15ème) Siècle, et au meme titre que le reste du pays, Salé a subi les effets d’une crise aigüe, sous la férule du Cheikh Abou Zakaria Yahya al Wattassi, au cours de laquelle ce dernier a annoncé son allégeance au prince Abdel Haq, ultime sultan mérinide.

Malgré le retour de la stabilité politique dans le pays après la prise du pouvoir par les Sa‘adiens, la période de leur domination est une période peu connue de l’histoire de Salé à cause de la rareté des données historiques.

A l’exception de l’intérêt porté par les Sa ‘adiens à une renaissance des chantiers navals, de la réfection du porche de Bab al Mrissa par Abdelmalek le Sa ‘adien, et quelques références générales à la place de Salé dans les événements de l’ère saadinne. Avec le début de la décadence de la dynastie Saadienne, les luttes fratricides entre les fils d’al Mansour pour le pouvoir et les dommages qu’ils ont occasionnés, nous constatons que Salé dépendait de fait du royaume de Marrakech et que la gouvernait, à partir de la Casbah en rive Sud, le représentant du pouvoir saadien. Elle pâtit donc de tous les aspects de la crise qui a succédé la mort d’al Mansour ad Dahbi. De ce fait est réapparue l’importance du rôle de certains mystiques. Le Cheikh Abd Allah Inb Hassun vint à Salé et s’y  installa. Son influence fut grande sur les personnages les plus importants de la ville et son rayonnement se développa parmi les tribus environnantes. Le combattant (moujahid) Mohammed Al‘Ayyachi al Maleki qui était issu d’une famille honrable et ancienne fut son disciple. Il s’en retourna à Salé en 1615. Il y demeura tout un temps jusqu’à ce que les Salétins lui firent allégeance lui promettant obéissance et aide. Toutefois, ses relations avec les morisques sont passées par des étapes cruciales et délicates. En fin de compte il dut les affronter avec l’aide de la marine anglaise.

Le début des affrontements eut lieu en 1631. Il semble néanmoins que les batailles qu’il a engagées contre eux n’ont pas eu les effets escomptés ; c’est pourquoi les affrontements ont durée de longues années pendant lesquelles les alliances se sont quelquefois, faites et défaites. De leur côté, les morisques ne sont pas restés les bras croisés puisqu’ils ont pu occuper le Château (Casbah) et en expulser les habitants vers Salé. Ceci aboutit à ce que Al‘Ayyachi ait une nouvelle fois fait le siège de Rabat qu’il bombarda mais sans résultat décisif. Il ne se passa pas un grand laps de temps avant qu’al ‘Ayyachi ne fut tué près d’al Qasr al Kabir par des éléments de la tribu des Khlot qui étaient, semble t-il, de connivence tout à la fois avec les Dilaites et les Andalous.

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Les Dilaites ont donc profité de la fin d’al ‘Ayyachi pour étendre leur influence sur l’embouchure du Bouregreg. Mohammed el Haj le Dilaite désigna son fils Abd Allah comme régent sur les villes de l’embouchure en 1651 qui choisit le Château (Casbah) comme lieu de sa résidence. Et au regard de l’importance des activités maritimes dans la vie des agglomérations de Salé, les fonctions du régent dilaite se sont focalisées sur les relations avec les puissances étrangères qui avaient pour souci, d’abord, de défendre les intérêts de leurs sujets et la libération des prisonniers, puis, ensuite, de s’adonner à un commerce lucratif avec les Dilaites. Les habitants des deux rives ont acceptés de se mettre sous le commandement de Ghaylan, un ancien combattant d’al ‘Ayyachi, en 1664. Cependant cela ne dura pas longtemps puisque les Alaouites ont tôt fait de dominer la région et unifié le pays. Le Sultan Moulay Rachid fit son entrée à Salé en 1670.

Il semble que l’intérêt de l’Etat se soit porté sur le renforcement de la protection de la ville : il était urgent de restaurer les défenses de la cité qui avaient beaucoup pâti des événements de la période précédente. Après cela, le sultan Moulay Ismail édifia la Casbah des Gnaouas, le mausolée de Sidi Moussa et la réfection de l’aqueduc. Le décès de ce sultan a été le point de départ d’une crise politique profonde au cours de laquelle les travaux engagés lors de son règne ont été arrêtés.

De ce fait, la ville s’est octroyée son autonomie. Elle avait à sa tête, alors, le Caïd Abdel Haq Fennich qui resta à la tete de la ville jusqu’à ce que le sultan Moulay Abdallah l’ait confirmé à ce poste. Lors de cette période certains travaux importants ont été réalisés comme le mausolée de Sidi Lahcen al ‘Aydi dans le quartier de Souiqa, la mosquée et la zaouia de Sidi Ahmed Hajji en plus du mausolée de Sidi Ahmed Ibn ‘Achir en 1773. D’après certains actes notariés, nous sommes en mesure de connaître l’existence de certains marchés comme le grand marché (Souq al Kabir) et l’administration du Censeur et prévôt des marchans (Mohtassib), comme encore l’existence de plusieurs moulins à eau et à vent et des maisons où l’on frappait monnaie. Pour la plupart de ces centres, nous ignorons leur emplacement, exception faite de celui qui se  trouvait dans l’ancien mellah près du fondouk Askour. La ville a connu au cours de cette période un accroissement dans son emprise urbaine. Abdel Haq Fennich avait participé à cette expansion comme il a fait construire, sur ordre du sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, un grand bastion donnant sur la mer. Le Fort des larmes (Borj ad dumu ‘) ou le Fort  du Caïd. De même il a construit un grand bastion accolé à Bab Sebta pour en faire son poste de commandement.

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Au cours des 18 et 19ème Siècles, la ville a enregistré plusieurs réalisations qui ont marqué son paysage urbain. Citons parmi elles, pour le règne du Sultan Moulay Slimane, la « mosquée des bouchers » et le nouveau mellah sur le site de l’ancien chantier naval au sud-est de l’enceinte de la cité en 1808.

Le règne de Moulay Slimane a eu un grand impact sur l’histoire de Salé à cause de la convention signée avec certains états européens en 1818, concernant la fin de la course. En conséquence de cela, la ville tourna le dos à la mer et aux profits qu’elle pouvait en retirer ; elle entra dans une nouvelle ère économique et de peuplement basé sur sa situation remarquable de nœud de communications entre le Nord et le Sud du Maroc.

Un des grands épisodes au cours desquels l’histoire de Salé s’est trouvée imbriquée dans l’histoire générale du Maroc concerne les suites du décès du Sultan Hassan 1er en 1894. Ce décès a eu un grand impact sur la vie de la ville. Les habitants de Salé ont fait allégeance au Sultan Abdelaziz de manière spontanée. Au cours de cette époque sont apparus quelques problèmes locaux en liaison avec la lutte pour la prééminence et qui se sont achevés par la nomination de Tayeb Sbihi. Ce dernier disposait de relations importantes au sein de l’entourage du Sultan et a profité de leur appui. Sbihi a eu à affronter sa première crise grave, avec la déposition du sultan Abdelaziz et la prestation de serment d’allégeance au sultan Abdel Hafid.

Dès que les Salétins apprirent l’entrée en campagne des troupes aziziennes et leur proximité des villes des deux rives, ils confirmèrent leur allégeance à Moulay Abdelaziz et l’invitèrent à visiter Salé. De fait, le Sultan entra dans Salé et se rendit à tous ses mausolées avant de se diriger vers Rabat où il résida environ dix mois. Cependant la défaite de ses troupes, face aux Rehamna, a décidé les Salétins à faire allégeance à Moulay Hafid, au cours de l’été de 1908.

Suite à ces événements, le 27 avril 1911, eut lieu l’entrée à Salé des troupes françaises, en route pour Fès. De ce fait, ces troupes investirent les portes et les fortifications de la partie sud de la ville, détruisirent les bastions donnant sur la mer ainsi que leurs canons, en y mettant le feu avant d’évacuer la ville par la suite.

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Salé connut, au 19ème Siècle, une série de réalisations défensives qui complétèrent ses fortifications grâce aux réfections qui ont intéressé l’ancienne casemate (Sqala al Qadima) près du mausolée de Sidi Ibn ‘Achir sous le règne de Hassan 1er en 1885. En 1877, le Gouverneur Mohammed Ibn Said prolongea les remparts jusqu’à la rivièr étant donné l’insécurité qui prévalait du côté de « Rmel ». Pour garder l’ancienne « Musalla », on ouvrit une porte qui fut appelée « Bouib er-Rih » (la petite porte du vent) et qu’on fermait le soir. Quand les constructions augmentèrent du côté de « Rmel »   au cours des dernières décennies et que la petite porte ait disparu, les immeubles arrivèrent jusqu’aux environs de la porte de Fès (Bab Fas) et l’on déplaça l’oratoire en plein air (Musalla) au cimetière de (Bab M ‘allqa) en face du mausolée de Abou Abd Allah Mijrad.

Ce qui a marqué la ville c’est l’augmentation du nombre de ses quartiers par l’occupation des zones à faible densité de Bab Cha ‘fa et Bab Sebta, de Souiqa et Essaf, par des populations venant des tribus voisines de la ville. Ainsi, Salé renfermait une quinzaine de quartiers et disposait de soixante mosquées dont la plupart avaient un minaret, alors que le prône du vendredi était réservé à trois d’entre elles seulement ; la Grande Mosquée, la Mosquée de Lalla ech Chehba et celle de Sidi Ahmed Hajji. 

Malgré l’augmentation des quartiers résidentiels, une part importante de la superficie totale, jusqu’au début du 20ème Siècle, était toujours occupée par des vergers et des jardins dont le nombre atteignait les 42. Ces terrains étaient propriétés de certaines familles qui vivaient, par exploitation directe, le plus souvent.

Le début de la période du Protectorat représente une rupture avec le système urbain traditionnel de Salé puisque dès leur mainmise sur la ville, les français ont entamé l’application de leur conception de la modernisation du pays, en s’appuyant, d’abord sur les notables de la ville. Parmi les premières dispositions prises, il y eut la création d’un conseil municipal en 1913, constitué de 4 musulmans, 2 juifs et 2 français.

La première tâche  de la nouvelle instance a intéressé l’infrastructure urbaine. La route menant à Rabat et qui passait près de la caserne militaire a été macadamisée, alors que la ville a été entourée d’une piste ; les rues à l’intérieur de la cité ont été soumises à réfection et dotées de trottoirs. L’aqueduc a été réhabilité et un grand bassin de collecte a été construit à Bab Cha ‘fa. Les rues furent équipées de lampadaires à gaz pour l’éclairage public et deux hôpitaux furent ouverts, l’un, près de la maison du Pacha, réservé aux hommes et l’autre, au voisinage du souq, réservé aux femmes. Dans le domaine de l’enseignement, une école de fils de notables a été ouvertes dans le quartier de Bab Hssai, le 1er novembre 1912.


Extrait du livre « Salé, genèse d’une cité islamique » de  FATHA MOHAMED – 2012 – publications de l’association Sala Al Moustaqbal ; traduction de ISMAIL ALAOUI.